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Milan Fashion Week : de Madonna à Marvel, une mode sous influence pop

Naomi Campbell, Julianne Moore, Carey Mulligan, des pop stars coréennes… Une brochette hétéroclite de célébrités a foulé les pavés milanais lors de la fashion week féminine printemps-été 2025, générant parfois des marées humaines devant les défilés. Incontestablement, les grandes maisons italiennes ont mis le paquet pour assurer leur visibilité. Un investissement destiné à contrecarrer les sombres perspectives économiques ? Sans doute. Car la mode transalpine n’échappe pas au ralentissement global du secteur.
Son chiffre d’affaires a baissé de 6,1 % au premier semestre et les prévisions tablent sur un recul de 3,5 % sur l’ensemble de l’année par rapport à 2023, selon la Chambre nationale de la mode italienne. Pour compenser ce manque de dynamisme, cette dernière a opéré quelques changements stratégiques dans le calendrier de sa fashion week : au lieu de grouper les grandes marques au milieu de la semaine, elle les a éparpillées du 17 au 23 septembre, incitant les invités à rester plus longtemps (et à dépenser leur argent) dans la capitale lombarde.
Le poids lourd chargé de faire arriver les professionnels dès l’ouverture, c’est Fendi. Et en sa qualité de marque inauguratrice de la fashion week, la griffe de LVMH n’a pas lésiné sur les moyens. Devant le studio Maxi, une foule bruyante scrute l’arrivée des « amies de la maison » – de l’artiste contemporaine Marina Abramovic à la chanteuse Jade Thirlwall. A l’intérieur, l’espace est occupé par une gigantesque boîte rose pâle vers laquelle convergent les mannequins et qui finira par s’ouvrir pour offrir un tableau très instagrammable de toutes les jeunes femmes réunies. La maison romaine fêtera en 2025 son centenaire, et cette collection qui sera en boutique l’an prochain s’inspire des années fondatrices.
« L’année 1925 est aussi celle de l’Exposition internationale des arts décoratifs à Paris, la parution de Mrs Dalloway [de Virginia Woolf] et de Gatsby le Magnifique [de F. Scott Fitzgerald] », s’enthousiasme le designer Kim Jones, qui s’est inspiré de « la modernité régnant alors sur les vêtements, la décoration et les esprits ». Des robes à sequins traversées de motifs géométriques ou à franges s’intègrent à une garde-robe plus moderne, dans des teintes poudrées, où une jupe transparente brodée de fleurs se marie à des chaussures de randonnée. Une collection aimable, destinée à une clientèle déjà férue de la marque.
Devant la Fondation Prada, le groupe de K-pop Enhypen a droit à des banderoles énamourées de la part de fans qui scandent le nom des sept éphèbes. A l’intérieur, l’atmosphère est plus austère. Le décor se limite à un tissu bleu ciel qui se répand sur les tabourets. La collection, elle, semble de bric et de broc : robes en cuir envahies d’anneaux métalliques, blousons en trompe-l’œil de fourrure dessinée sur le tissu, fourreaux chics en soie jaune beurre, chemises froissées, jupes métalliques rigides percées de trous… Chaque silhouette raconte une histoire différente, parfois séduisante, mais plus souvent déroutante, et cette bizarrerie est renforcée par les accessoires, comme ces lunettes de soleil démesurées évoquant un masque de Spider-Man.
« Nous vivons dans une période de surinformation, dominée par des algorithmes qui donnent à chacun l’occasion de se faire sa propre version de la réalité. On voulait rebondir sur cette idée », décrypte la codesigner Miuccia Prada. « Et que chaque silhouette représente un super-héros. Avec les réseaux sociaux, tout le monde se transforme en super-héros », complète son binôme, Raf Simons. Le duo atteint son but car la collection dégage cette impression d’association aléatoire de vêtements moulinée à la sauce Marvel. Mais l’éparpillement stylistique conduit aux mêmes travers que l’avalanche de photos sur Instagram : à la fin, difficile de retenir une silhouette plutôt qu’une autre.
Pas de fashion week milanaise sans Giorgio Armani ! Mais, en cette saison au calendrier bouleversé, même lui déroge à ses habitudes. Le patriarche, qui a fêté en juillet ses 90 ans, a présenté une seule collection au lieu de deux. Sa ligne principale, Giorgio Armani, défilera à New York le 17 octobre, pour l’ouverture d’un nouveau bâtiment Armani sur Madison Avenue, qui réunira plusieurs boutiques et un restaurant. A Milan, il s’est contenté de mettre en scène sa collection Emporio Armani, comme toujours dans les locaux minimalistes de sa marque, via Bergognone.
Côté style, la permanence est aussi au rendez-vous : un mélange de costumes souples, pantalons de cavalier, blousons, parkas et trenchs alternés avec des petites robes drapées et des jupes longues dans une palette irisée. Conscient qu’il faut tout de même faire des concessions à un monde qui change, le vétéran de la mode italienne fait évoluer ses boutiques et a inauguré pendant la fashion week la rénovation de son navire amiral de la via Alessandro Manzoni. Désormais bien dans l’air du temps, avec son sol en écorésine et son plafond tapissé d’écrans.
La plus grosse marque de la fashion week de Milan reste sans conteste Gucci, qui, au sommet de sa gloire en 2022, avait réussi à dépasser la barre symbolique des 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Mais cette époque prospère est révolue. Outre le contexte économique tendu, Gucci peine à retrouver son panache depuis l’entrée en fonctions, en 2023, du directeur artistique Sabato de Sarno. Pour renouer avec la croissance, le Groupe Kering, auquel la griffe appartient, continue d’investir : le défilé a lieu à La Triennale, palazzo où la présence de stars hollywoodiennes mais surtout du chanteur de K-pop Jin justifient l’installation d’une vaste fan zone face au tapis rouge. Sans aucun doute, Gucci sait assurer sa promotion. Reste le point central : la collection.
Jusqu’ici, Sabato de Sarno n’avait pas vraiment fait ses preuves, proposant des vêtements trop simples ou disparates pour vraiment définir un style. Dans sa note d’intention, l’Italien explique s’être inspiré cette fois de « l’instant où le soleil plonge dans la mer à la fin d’une journée d’août », et le décor, en dégradé de lumières crépusculaires, matérialise bien cette idée. Mais si on est censé avoir les pieds dans le sable, pourquoi la majeure partie de la collection baptisée « Casual Grandeur » consiste-t-elle en une garde-robe citadine et apprêtée ?
Sabato de Sarno passe du pantalon en laine aux longues robes drapées fermées par un bijou, enchaîne sur des manteaux en cuir à double boutonnage, puis des nuisettes en dentelles très fines, le tout dans une palette noir et bordeaux et porté avec des bottes qui remontent jusqu’aux genoux. La deuxième partie de la collection, avec ses touches de jaune fluo et ses minijupes boules brodées, évoque un peu plus l’été, mais peine à séduire. Les clins d’œil aux archives et la surutilisation des codes de la maison (le mors et le bambou présents sur les souliers, les sacs, les bijoux, en imprimés… ) ne suffisent pas à donner de la cohérence ou un nouvel élan tant attendu. Quelle que soit la richesse de l’héritage Gucci, il faut le nourrir de nouvelles idées pour qu’il continue de briller.
Devant le show Dolce & Gabbana, la foule de badauds est toujours impressionnante. Cette saison ne fait pas exception puisque Madonna compte parmi les invités, le visage dissimulé par un voile de dentelle noire ; elle est aussi la source d’inspiration de la collection. « Madonna a toujours été notre icône. C’est grâce à elle que beaucoup de choses dans nos vies ont changé », affirment les designers Domenico Dolce et Stefano Gabbana. Dolce & Gabbana a commencé à habiller la chanteuse dès 1991, a conçu le vestiaire de plusieurs de ses tournées, l’a choisie pour ses campagnes publicitaires… En 2000, le duo lui avait déjà dédié la collection « Madonna, les années 1980 ». Cette fois-ci, il se tourne vers la Madonna nineties, au risque d’évoquer le travail de Jean Paul Gaultier, qui, en 1990, avait conçu les costumes de sa tournée « Blond Ambition ».
Difficile de ne pas voir une citation quand débarquent les mannequins avec leur corset rose pâle à la poitrine conique. Même si toutes les tenues affichent les emblématiques seins pointus de Jean Paul Gaultier, le reste de la garde-robe verse plutôt dans le folklore dolce-gabbanesque, avec sa panoplie de robes moulantes : fleuries, lacées dans le dos, en dentelle, à franges… La mise en scène, où les mannequins descendent lentement un escalier en miroir sur leurs escarpins vertigineux, leur donne des allures de personnages de film ou de clip. Après avoir salué et embrassé Madonna, Domenico Dolce et Stefano Gabbana repartent en coulisses avec les yeux humides et les joues en feu. La mode est devenue un gros business mais, heureusement, elle reste aussi une affaire de sentiments.
Elvire von Bardeleben (Milan [Italie], envoyée spéciale)
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